Charlotte, IDE en EHPAD et blogueuse pendant le COVID


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​​ 7 février 2020


On commence à entendre parler du « virus chinois » 

7 mars 2020 

« C’est une petite grippette » disent la plupart des médecins. 

12 mars 2020 

« Dans 3 jours la France tout entière sera confinée. » 

26 mars 2020 

« On s’est trompés, c’est bien plus grave que ce qu’on pensait » 

12 avril 2020 

« Une grande partie de la population mondiale est confinée » 

Cette situation est sans précédent... 

Et les infirmières dans tout ça ? 

Pour la première fois depuis l’histoire de la profession d’infirmière, les gens ont arrêté d’applaudir des footballeurs pour applaudir les infirmières (et pas que) à leurs fenêtres. 

Seulement maintenant ? 

Et à l’heure où je vous écris ces lignes c’est déjà fini... 

Ah non pas le COVID, 

Les applaudissements. 

Et pourtant, les infirmières sont toujours en train de travailler. Elles n’ont jamais cessé. 

A l’hôpital, en ville, dans les EHPAD. 

Dans les EHPAD... 

Le COVID dans les EHPAD. 

Les EHPAD, c’est là où les infirmières et aides-soignantes s’occupent de vos parents, vos grands parents au quotidien. 

En l’espace de quelques semaines, ces lieux de vie se sont transformés en lieu de mort, de stress, d’angoisse ... 

Au jour de l’annonce du confinement, la plupart des EHPAD étaient déjà confinées. 

Nous n’avons pas attendu le gouvernent pour prendre conscience du danger que courraient nos anciens. 

Et puis, il a fallut attendre. 

Attendre les 14 jours « d’incubation » pour être sûrs. 

être sûrs que notre EHPAD n’allait pas être touché par ce fichu virus. 

14 longs jours durant lesquels le stress au travail était presque intenable. D’ailleurs certaines n’ont pas tenu. 

Cette angoisse régnait dans tout l’EHPAD. 

Cette angoisse de penser que le virus peut être partout, dans chacun de nous, sur toutes les portes, dans chacun de nos résidents. 

Et on ne pouvait pas rester chez nous sur notre canapé car nos résidents avaient besoin de nous. 

On avait pas forcément envie de rester chez nous de toute façon. On voulait le battre, le combattre ce fichu COVID. 

Le plan blanc avait été lancé. 

Ce fameux plan blanc que l’on apprend en école d’infirmière mais qui reste seulement une circonstance lointaine. Irréelle. 

La boule au ventre. 

Vous imaginez un peu cette boule au ventre que l’on a pu avoir pendant ces 14 jours. 

Personne, je dis bien personne, ne dormait bien la nuit. 

Infirmiers, aide-soignants, cadres, médecins, agents... à l’EHPAD, nous étions tous pareil. On avait peur. 

Peur pour nous, peur pour nos résidents, peur pour nos familles... 

Et surtout, peur de rapporter le virus à la maison. 

Certaines infirmières nos dormaient plus avec leur conjoint. 

Certaines n’embrassaient plus leurs enfants. 

Tous les jours à l’EHPAD, on avait des suspicions. 

Oui car les personnes âgées, toussent souvent, sont souvent fatiguées, ont souvent des pertes d’appétit, ont souvent des infections... 

Alors à chaque fois qu’un résident présentait des symptômes, on le plaçait en isolement. On le faisait tester et on attendait. 

On a eu une chance folle dans notre EHPAD puisque nous n’avons pas eu (pour le moment) de COVID +. 

En revanche, certains de nos résidents n’ont pas tenus le confinement. 

Ils ne sont pas morts à cause du COVID mais à cause du confinement. 

Le fameux syndrome de glissement... 

Vous imaginez un peu, des personnes âgées qui sont du jour au lendemain confinés dans leur chambre, qui n’ont plus le droit de voir leur famille, qui n’ont plus d’animation, qui n’ont plus la visite de leur kiné, leur podologue, leur médecin traitant, leur amis... 

Beaucoup sont sourds, certains sont aveugles. 

Et ils commencent à glisser... 

Certains ont commencé à refuser leurs traitements, à refuser les prises de sang, à refuser leur pansement, leurs gouttes dans les yeux... 

Certains ont commencé à refuser de manger, à refuser de se lever... 

Et le syndrome de glissement qui s’installe doucement. 

C’était très difficile de les rassurer dans ces moments là. La seule chose que l’on pouvait faire c’était de les écouter. 

D’être présente. 

« Je vais avoir 100 ans dans 2 mois et je ne suis pas sûre de tenir jusque là. J’ai tellement peur de mourir seule. De ne jamais revoir ma famille, mes enfants, mes petits enfants. J’ai toute ma tête vous savez, je me rends bien compte des choses. Ce virus ce n’est pas un virus banal, c’est bien plus moche. Il ne fait pas que vous tuer, il vous fait mourir seule. » 

« Il ne fait pas que vous tuer, il vous fait mourir seule » 

C’est vrai qu’il ne peut pas y avoir pire. 

En tant qu’infirmière, on pense que la mort c’est le pire scénario, on fait tout pour protéger nos patients. Mais la mort loin des familles, loin des proches... que peut il y avoir de pire ? 

Sans doute rien. 

On était face au pire. 

Je me souviens d’une patiente dont je m’occupais qui était en soins palliatifs et qui m’a dit « la chose qui peut nous faire le plus souffrir ce n’est pas la maladie mais l’amour. Ou plutôt le manque d’amour. » 

Quelques semaines plus tard, au sein de l’EHPAD, nous avons commencé à autoriser les visites des familles des résidents en fin de vie. Avec bien sûr beaucoup de précautions, mais parce que l’on s’était bien rendu compte que les proches sont bien plus efficaces parfois que nos traitements médicamenteux, nos présences ou nos soins. 

Et les résultats ont été assez dingues. 

Une patiente qui était en fin de vie, ne mangeait rien depuis des jours. On avait peine à lui faire manger une ou deux cuillère d’eau gélifiée. J’ai ouvert les portes de nos forteresse -de notre EHPAD- à son fils qui venait lui rendre visite. Je l’ai vu arriver avec un emballage de type gâteaux de boulangerie. Il m’a dit qu’il le fils de Mme L. Quel décalage. Nous qui avons de la peine à donner une bouchée à sa maman, il arrivait avec un petit fraisier et un éclair au café. J’en ai eu les larmes aux yeux... Il me demande alors : « Je suppose que si j’ai le droit de venir, c’est que ma maman va bientôt mourir ? » 

Que lui répondre ? Que répondre à cette question ? 

Parfois on pense perdre un patient alors qu’il lui reste des mois et parfois, en quelques heures, la vie bascule... 

Quelques minutes après, je passe devant la porte de Mme L, j’hésite à entrer. Après tout, elle ne parle pas, ne mange pas, réagit à peine... et je souhaite accompagner son fils car je me demande comment il réagit face à sa maman en fin de vie. 

Lorsque j’entre dans la chambre, je le voit assis à côté d’elle. Il a le sourire aux lèvres et elle aussi. « Elle a mangé un peu de crème de l’éclair et de la crème du fraisier ». 

Je n’y crois pas, je la trouve métamorphosée en présence de son fils ! 

- « Vous pensez qu’elle sait que je suis là, je n’ai pas l’impression... ? » 

- « Je suis sûre qu’elle sait que quelqu’un qui l’aime tout particulièrement est là près d’elle, d’ailleurs je ne l’ai pas vue comme ça depuis des semaines. » 

2 jours après, Mme L est partie. Elle a eu le plaisir de sentir une dernière fois l’amour de son fils. Elle a eu cette chance car nous vivons en Bretagne, car cette région n’a pas été trop touchée. Je sais que ça n’a pas été le cas pour de nombreux EHPAD. Je n’ose imaginer la douleur de ceux qui ont perdu un proche, sans même avoir eu le temps de lui dire au revoir, de le revoir une dernière fois. 

Ce virus est toujours là. Il va peut être revenir, il va peut être muter, qui sait ? 

Je suis assez tactile et j’ai souvent besoin de poser une main sur une épaule ou même sur la main de mes patients. Je trouve cela important. En période aigue du COVID, je ne touchais plus rien, plus personne, j’évitais au minimum les contacts. Et un jour, après un pansement, j’ai posé ma main sur le bras de ma patiente. Elle était aveugle. Je lui ai simplement dit : « aller, bon courage, à plus tard ma belle ! » Et elle m’a répondu : « Qu’est ce que ça fait du bien d’avoir un contact, à force de ne pas être touchée, on finit par croire que nous sommes des objets. » 

On finit par croire que nous sommes des objets... 

Si je peux vous dire une dernière chose, ce serait de prendre soin de vos proches, de vos anciens. Ils sont trop souvent seuls. Je les vois au quotidien. Ils passent des journées entières absolument seuls. Certains ont deux visites dans l’année tout au plus. On est parfois pris entre nos travails, nos activités... mais s’il vous plaît, prenez le temps de dire à vos parents, vos grands parents, à quel point vous les aimez, avant qu’il ne soit trop tard..

Merci Charlotte pour ce témoignage, retrouvez son blog charlottek.fr

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