ROSE, 31 ans, CHIRURGIEN-DENTISTE pour enfant


 Mais…vous aimez faire pleurer les enfants ? 
Lorsque les gens me demandent ma profession (de foi), j'ai toujours un petit temps d'hésitation avant de leur répondre.
 De la timidité me direz-vous ? Non pas, c'est juste que je n'aime pas trop la réaction de la plupart. Avant, lorsque j'étais fraîchement diplômée (et donc remplie d'espoir, de motivation et de rêves, bref des étoiles plein les yeux), j'aimais répondre car j'étais contente de pouvoir annoncer que je participais activement au maintien de la santé générale. Mais ça, c'était avant.

Puis, peu à peu, devant les réactions assez mitigées de mes interlocuteurs, mon plaisir s'est évanoui pour faire place aujourd'hui à une certaine gêne à annoncer mon méfait métier.

En effet, à chaque fois ou presque, au lieu d'avoir une mine réjouie de reconnaissance ou pourquoi pas et rêvons un peu, d'admiration, je me retrouve face à des moues plus ou moins suggestives de peur/horreur/dégoût/ mécontentement/doute/fascination morbide (cochez le mot qui vous correspond le plus). Le plus bizarre, c'est que la plupart des gens ne réalisent pas IMMEDIATEMENT ce que je leur réponds. Je pense qu'il faut un petit temps d'adaptation au cerveau afin qu'il accepte l'INNACEPTABLE. Un peu comme dans un état de choc : vient d'abord le déni PUIS l'acceptation. Ce qui se traduit généralement et dans mon cas par cette réponse plus ou moins absurde (à vous de juger) lorsqu'à la question fatidique et qui arrive toujours tôt ou tard « vous faîtes quoi comme métier » et que je leur réponds…. (accrochez-vous à votre chaise, plantez d'ores et déjà vos ongles dans les accoudoirs) dentiste ou plutôt devrais-je dire « » (j'ai essayé de trouver une police effrayante, mais c'est assez difficile), il y a donc la fameuse réponse :

- «mais…vous êtes VRAIMENT dentiste ? » souvent accompagnée d'une voix légèrement suraiguë. Je pense en fait, qu'au moment de prononcer ces mots plus ou moins stupides irréfléchis, ils sont en fait noyés sous un flot d'images réminiscences tel que (en vrac) : piqûre, sang, torture, sadisme, pleurs, cris, rire de méchant (pour le dentiste), boucher-charcutier, et surtout DOULEUR, DOULEUR, DOULEUR.

Et donc, essayant de garder une certaine contenance, sort la première chose qui leur vient à l'esprit (sous-entendu « mais ce n'est pas possible, c'est une blague comme répondre proctologue ou trader , non ?? », et puis d'abord, qu'est ce qui m'a pris de lui demander, comment vais-je m'en sortir, ah tiens et si j'en profitais pour lui demander pourquoi j'ai toujours les gencives qui saignent quand je me brosse les dents…).

Je suis maintenant tentée de répondre par « non je suis un dentiste en plastique » ou « non c'est une blague, je suis proctologue » mais bon.

Il faut bien assumer.

C'est un fait, je ne peux le nier.

Bonjour, je m'appelle A…… et je suis dentiste. Voilà c'est dit.

Pour poursuivre la conversation, mes interlocuteurs doivent s'armer de courage et aussi d'une légère dose d'effronterie (ou de provocation) ou bien, ils peuvent s'enfuir en courant (rares sont ceux qui le font, et pourtant je ne saurai leur en vouloir).

Souvent vient la phase de questionnement afin de comprendre comment j'ai pu en arriver là (drogue, alcool ?). Comment je peux accepter en toute innocence de me lever tous les matins en sachant pertinemment qu'au cours de la journée, je serai responsable de tortures psychologiques et/ou physiques sur une vingtaine de personnes (moyenne de patients/jour). Et d'ajouter en me regardant bien droit dans les yeux « vous savez, ce n'est pas contre vous, mais je DETESTE les dentistes ». Comme ils diraient « je déteste Hitler », avec des traits de haine pure.

Comment dois-je le prendre ?

Ma méthode (je ne sais pas si c'est la bonne) consistait (notez l'emploi de l'imparfait) à faire preuve de compréhension et surtout d'empathie. En général, je leur répondais : « oui je comprends tout à fait, vous avez dû vivre des choses difficiles, les méthodes ne sont plus ce qu'elles étaient et si j'étais à votre place, je serai comme vous ».

Maintenant, afin de faire diversion, je leur donne une réponse qui me parait vraiment plus sympathique et qui doit très certainement rassurer la plupart d'entre eux.

- «vous savez, je suis dentiste pour enfants...»

Etrangement, l'expression de haine se transforme progressivement en une expression d'horreur pure.

[ DES ENFANTS…
NOM DE DIEU….
ELLE OSE PROFANER CES ETRES SACRÉS !]

Car oui, les enfants ont aussi des caries, des dents abîmées, brefs, des chicots.

Et il faut bien que quelqu'un s'en occupe.

C'est généralement à ce stade (après leur avoir expliqué que oui, les enfants ont des caries, oui oui, même sur les dents de lait et oui, les dents de lait ça se soigne, on n'attend pas qu'elles tombent mais pourquoi, ah bon mais je ne savais pas, vous êtes sûre ?) que la personne en face de moi me sort LA phrase fatidique qui met mon orgueil et ma fierté plus bas que terre : « remarquez…il en faut, hein ? »

Sous-entendu (oui il y a beaucoup de sous-entendus, je sais), c'est un peu comme une opération des hémorroïdes, c'est horrible, mais NECESSAIRE.

Quelquefois, j'ai affaire à un ou deux petits plaisantins, qui me disent d'un air complice et avec de discrets coups de coude dans le flanc « allez, vous pouvez me le dire…vous aimez faire pleurer les enfants ? » (genre, moi aussi, je n'aime pas les mioches, c'est ma femme qui en voulait, mais dès que je peux, je me tire).

Je dois donc me justifier DOUBLEMENT. Pourquoi suis-je dentiste et pourquoi les enfants (entre parenthèse, les pédiatres n'ont jamais à se justifier, ils sont là et puis c'est tout et c'est quand même bien pratique, non ?) Mais là. Là. Dans, ce cas….POURQUOI ???? pourquoi ne pas faire autre chose ?

Comme si je détenais le secret de je-ne-sais quelle pierre philosophale.

Enfin bon, bref, tout ça pour dire…

Pourquoi je soigne uniquement les enfants ?

Et bien, c'est tout simple. Je préfère, c'est tout. Et j'aime plutôt ça. Et oui, dans 95 % des cas, ça se passe bien (je ne veux pas annoncer 100%, ça serait malhonnête de ma part et de plus totalement illusoire, quel soignant connaît 100 % de réussite ?)

Je vais donc répéter une fois de plus le petit laïus qui me sert de justificatif et d'explication.

Aujourd'hui, les techniques de soins dentaires ont évoluées. L'anesthésie est très souvent utilisée à bon escient et à juste titre. Il existe des anesthésiques de contact qui permettent de ne pas sentir la piqûre. Et je vous garantis qu'un enfant de 6 ans, qui n'a jamais eu d'expérience dentaire avant et dont les parents ne l'ont jamais effrayé avec des histoires épouvantables de dentiste, se laissera faire sans problème et dans l'ignorance la plus absolue de l'existence de cette fameuse piqûre et encore plus de cette fameuse supposée douleur. Une première bonne expérience chez le dentiste est très souvent suivie par d'autres excellentes séances de soins pour l'enfant comme pour le soignant.

C'est là que je vous adresse une petite requête concernant vos chères têtes blondes : pitié pour eux, soyez sympa, ne leur mettez pas dans le crâne des absurdités sans nom concernant ce que le dentiste va peut-être, probablement, très certainement mais en fait vous n'en savez fichtrement rien, leur faire (palmarès des horreurs dites devant moi par les parents à leur enfant : la dentiste va te faire une piqûre/va t'arracher une dent, ça va saigner/si tu bouges, tu auras mal/si tu ne te laisses pas faire, tu auras mal…)bref, que des gentillesses en tout genre alors pitié, pitié, pitié pour eux et pour nous, soyez sympa, ne leur dite rien, il vaut mieux rester dans le flou le plus total et juste leur annoncer que le dentiste va regarder les dents ET C'EST TOUT. Pour résumer, pas de préjugé et l'enfant sera bien soigné (quand je dis bien c'est-à-dire sans douleur et sans peur).

Pour en revenir à nos moutons, ou plutôt à nos lardons, j'aime soigner les enfants car bizarrement je trouve cela beaucoup plus facile que de soigner les adultes. En effet, lorsqu'un adulte se présente pour être soigné, il traîne derrière lui (ce qui souvent lui fait traîner le pas inconsciemment) un énorme bagage de ressentis dentaires (comment les appeler autrement ?) autrement dit de mauvaises expériences de soins dentaires antérieures qui font de lui (malgré une bonne volonté et une coopération de tous les instants) un petit être effrayé, traumatisé, apeuré et stressé. Ce que la plupart des enfants n'a pas. Tout simplement.

Les enfants sont plus jeunes que les adultes (ce qui en fait donc des enfants, suivez la logique) et donc ont moins de passé derrière eux. Et très souvent, pas de passé dentaire. Ce qui fait tout simplement qu'ils n'ont donc pas d'à priori concernant le dentiste ou les soins dentaires (sauf si les parents leur ont bourré le mou avec des idioties-cf paragraphe précédent)-). Donc ils sont nettement plus ouverts, à l'écoute, attentifs, coopérants que les adultes. Et comme ce sont des enfants, en général, ils aiment bien faire. Voilà pourquoi tout se passe généralement très bien pour soigner les enfants. Certes certains mots sont à proscrire avec eux. Une petite liste de mots tabous existe, bien qu'elle soit nettement plus restreinte que celle des adultes (en vrac : piqûre, arracher, sang, mal…).

Il suffit de faire preuve d'empathie (« qu'est-ce que je n'aurai pas aimé entendre étant petit ? ») et d'une certaine dose de filouterie pour soigner un enfant (la flatterie marche assez bien). Et c'est tout (quand je dis c'est tout, je parle là seulement de l'approche psychologique et pas de la technique, car bien sûr, nous utilisons des anesthésiques pour éviter toute douleur, des instruments adéquats etc…).

Voilà pourquoi j'aime soigner les enfants. A partir du moment où l'on considère un enfant comme une petite personne qui a le droit de savoir ce qu'on va lui faire (avec des mots appropriés), lui montrer les instruments utilisés (les enfants sont curieux, c'est bien connu) et lui expliquer surtout le pourquoi du comment (« c'est quoi une carie ? Et pourquoi il faut réparer la dent ? » ) alors celui-ci se comportera en tant que petite personne à l'écoute et coopérante.

Une dernière chose pour conclure :

La prochaine fois que vous emmenez votre enfant chez le dentiste, essayez d'imaginer avant cette scène :

Vous êtes enlevé par des extraterrestres qui vous font tout un tas d'expériences en utilisant tout plein d'instruments mystérieux et ceci en vous adressant des mots incompréhensibles. Seriez-vous effrayé ??

Maintenant, pensez à votre enfant qui va chez le dentiste. Vous voyez une analogie ? Je vous laisse méditer…


​​ Ecrit par Rose, 31 ans, Chirurgien-dentiste pour enfant (Pédodontiste) quelque part en Europe, édité en Septembre 2013



Lien

Un lien vers Sparadrap.org, un site que j'affectionne pour aider les soignants à prendre en charge les enfants, astuces, explications, supports pour les professionnels de santé, les parents et les enfants.
http://www.sparadrap.org/





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